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Whitney Dunlap-Fowler et comment révolutionner le système

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Whitney Dunlap-Fowler possède presque 10 ans d’expérience dans le domaine de la recherche et de la stratégie marketing. Forte de ses connaissances en analyse culturelle, sémiotique et stratégie de marque, elle s’efforce de proposer à ses clients des façons inédites et pertinentes de tirer parti de la nature changeante de la culture. 

En 2019, Whitney a fondé sa propre société de conseil, A Touch of Whit. En tant que brand strategist spécialisée dans les stratégies culturelles et multiculturelles, Whitney partage ses connaissances et ses recherches avec des clients qui souhaitent peaufiner leurs propres stratégies commerciales, dans un monde où les tendances en matière de consommation et de culture évoluent en permanence. Nous nous sommes entretenus avec Whitney pour en savoir plus sur son parcours dans le domaine des insights culturels, le lancement de son entreprise et ses initiatives pour que la diversité joue un plus grand rôle, aussi bien dans le secteur qu’ailleurs.

SQUARESPACE : Quand vous êtes-vous intéressée à ce métier pour la première fois ?

WHITNEY DUNLAP-FOWLER : Comme beaucoup d’autres chercheurs dans mon domaine, j’ai débuté dans ce métier par hasard. Je ne savais même pas qu’il existait. 

Enfant, j’avais un côté artiste, et je me suis très longtemps passionnée pour l’écriture, la poésie, la musique et surtout l’art dans son ensemble. J’adorais dessiner, peindre et créer, tout simplement. Ma mère, comme la plupart des mères noires, voulait que j’aie une carrière stable après le lycée. Un jour, elle m’a remis les pieds sur terre en me disant qu’artiste fauchée, ce n’était pas le projet professionnel idéal.

Après ça, j’ai passé mon année de Première à essayer de mettre le doigt sur ce que j’aimais, et j’ai atterri dans le milieu de la publicité. J’aimais vraiment la pub et le processus créatif derrière les jingles et les slogans que j’entendais tous les jours. Pour être honnête, c’est toujours le cas aujourd’hui. J’ai donc été à l’université en me disant que je trouverais bien comment mettre un pied dans la publicité. Fille de militaire et originaire de Virginie, je n’avais aucune idée de ce qu’il fallait pour réussir, mais je savais que j’étais décidée à décrocher le poste que je m’étais imaginé.

Ce que je n’avais pas pris en compte, c’est l’importance du « piston » dans le monde de l’entreprise, car je n’y avais jamais été confrontée auparavant. J’ai eu des difficultés (le fait que je poursuive mes rêves en pleine récession n’aidait pas) et au final, je n’ai jamais été près d’atteindre mon objectif, à savoir diriger une agence de publicité.

Par contre, j’ai développé de solides compétences administratives, ce qui m’a menée partout où j’ai vécu (Chicago, New York, New Jersey) et m’a permis de décrocher mon premier poste dans le secteur de la recherche. Comme, au début, je n’étais pas en contact avec la clientèle, j’ai mis du temps à réaliser que j’avais trouvé ma voie. Après avoir décroché mon diplôme à l’université de New York, j’ai pris le temps de cerner ce que j’appréciais, ce que j’aimais. Je suis passée côté client et je me suis tout de suite sentie dans mon élément.

À l’époque, je me passionnais déjà pour les recherches sur les gens et leurs modes de comportement au quotidien, avec mes amis. Grâce à la recherche, j’ai appliqué mon nouveau passe-temps dans un cadre plus scientifique et méthodologique, et j’étais même payée pour le faire ! Pour raconter des histoires vraiment percutantes et intéressantes, les chercheurs doivent souvent avoir un certain don pour le dessin et l’écriture. J’ai réalisé que je pouvais exploiter ma passion initiale pour l’écriture et pour l’art dans le cadre de mon métier. Aujourd’hui, mon travail conjugue à la perfection mes passions et mes loisirs, que j’aime parfois un peu trop. 

SQSP : Vous avez créé A Touch of Whit en 2019, après des années en tant qu’experte en stratégie de marque et de culture pour le compte d’autres entreprises. Qu’est-ce que vous a poussée à monter votre propre entreprise ? 

WD-F : Ça faisait des années que mes amis, ma famille, et même parfois des inconnus me poussaient à devenir ma propre patronne. La plupart des gens n’avaient aucune idée de ce que je faisais dans la vie, mais quand ils me rencontraient et qu’ils constataient ma passion pour mon travail et l’énergie que j’y mettais, ils me demandaient souvent : « Quand est-ce que tu vas monter ta propre entreprise ? »

Le problème, c’est que je n’avais jamais prévu de monter une entreprise. L’idée d’un salaire fixe et d’une couverture santé me tentait plus que la perspective de lutter mois après mois pour m’assurer des revenus stables.

Au final, ce n’est pas moi qui ai choisi. Le destin a commencé à me pousser vers l’entrepreneuriat à partir de 2018, quand j’ai fait un burn-out. En 2019, j’ai traversé une crise identitaire, parce que je croyais avoir perdu ma passion pour mon métier. Dès le réveil, j’étais éteinte et je n’avais aucun intérêt pour mon travail. Je me sentais vide et malheureuse, mais je faisais toujours du très bon travail.

Je me souviens qu’un matin, je me préparais en pleurant devant le miroir, et j’ai pris conscience qu’il fallait que je me secoue. J’avais l’impression de me débattre avec un « problème de riche », d’autant plus que j’avais un toit, un très bon salaire et un travail fixe. Je me souviens m’être dit : « Whitney, ce n’est pas la fin du monde. Tu es juste triste, ça va passer. Tu trouveras le bonheur et la solution à tes problèmes, quels qu’ils soient. » 

C’est aussi à ce moment-là que je me suis dit que je devais choisir d’être heureuse, car j’étais tellement malheureuse que j’allais au travail en broyant du noir. Si je voyais que quelqu’un s’apprêtait à me dire « Bonjour », je préparais une réplique cinglante, du genre « C’est un bon jour, ça ? ». C’était injuste de ma part, et quand j’ai changé d’état d’esprit, j’ai pu traverser une période de flou et de remise en question.

Ce qui m’est arrivé en 2019 et après 2019 m’a poussée à lancer Touch of Whit Creative. Toutes sortes de personnes, de situations et de signes divins me criaient explicitement ou implicitement « Monte ton entreprise ! », et au bout d’un moment, je ne pouvais plus ignorer ces signes. 

Je me souviens avoir lancé mon entreprise avant même d’être prête à accepter l’idée. Je me disais : « Je vais juste m’occuper des formalités, ça ne veut pas dire que je vais le faire. » Au final, un jour en juin ou juillet, je m’adressais à Dieu, et je lui disais : « Je sais que Tu attends que je prenne une décision, que j’agisse, mais j’ai du mal à l’accepter. » Ce soir-là, j’ai écrit dans mon journal intime les mots que je n’arrivais pas à dire à voix haute : j’allais démissionner et devenir experte indépendante en stratégie. Quelques jours plus tard, j’ai appelé mon père et je lui ai dit : « Je vais te dire quelque chose que j’ai peur de dire depuis des semaines. Je démissionne. »

Une fois que je l’ai dit à voix haute, c’était bon. Toutes les portes se sont ouvertes, l’une après l’autre, en toute facilité. L’univers attendait juste que je me ressaisisse.

SQSP : A Touch of Whit s’associe avec des marques, des professionnels du marketing et des agences pour leur offrir des informations clés et des points de contact stratégiques, afin de les aider à prendre des décisions pertinentes d’un point de vue culturel et à mettre au point des solutions pérennes. Quand vous créez un plan d’action pour un client, par où commencez-vous ?

WD-F : Je commence par discuter avec le client principal qui me contacte, et je m’efforce toujours de cerner l’impact de mon travail sur chaque partie et point de contact de l’entreprise. Je m’entretiens presque systématiquement avec les parties prenantes ou avec les chefs de service, surtout si mon travail vise à redéfinir la façon dont l’entreprise va mener ses activités à l’avenir. 

Mon travail pousse fréquemment les entreprises à s’interroger sur leurs habitudes. Je leur démontre en effet que le rythme effréné de la culture impacte leur chiffre d’affaires et l’univers de leurs clients. Pour ces entreprises, c’est un point de vue entièrement nouveau. Elles doivent souvent repenser totalement leur mode de travail si elles veulent rester pertinentes aujourd’hui et à l’avenir.

En tant que consultante, je peux uniquement donner des conseils et prouver pourquoi les choses doivent être faites d’une certaine façon. À terme, c’est au client de tenir compte de mes conseils et de les adapter aux besoins de son entreprise.  C’est ces moments de « révélation » qui me motivent le plus. 

SQSP : S’adapter aux changements culturels dans un monde en mutation constante semble être un objectif ambitieux, surtout pendant la pandémie. Comment aidez-vous les marques à se préparer pour l’avenir ?

WD-F : J’avoue qu’aujourd’hui, je dois fournir beaucoup plus de travail qu’avant pour rester au fait des tendances culturelles. La technologie a métamorphosé la façon dont les pays et les groupes partagent et diffusent des informations, c’est du jamais vu.

Pour aider mes clients à se préparer pour l’avenir, je commence par traquer la moindre information. Je suis l’actualité en permanence. Je ne coupe jamais les publicités. J’essaie de toujours savoir ce que font les marques et de m’entourer d’une équipe d’experts en stratégie culturelle qui sont aussi toujours en éveil, et qui peuvent donc me dire ce qu’ils observent de leur côté. C’est un bon point de départ pour toutes les tâches que j’entreprends. De cette façon, je n’ai pas besoin de repartir de zéro à chaque fois.

L’autre facteur clé, c’est de comprendre que les consommateurs autrefois considérés comme des minorités ou des groupes marginalisés induisent ou influencent de plus en plus les changements culturels aux États-Unis et dans le monde. Aujourd’hui, alors que ces groupes montrent la voie de l’avenir, je trouve que les clients et les marques acceptent rarement cette idée. Ils essaient d’éviter de courir des risques, par peur de se mettre à dos leur public principal (les Blancs). Ce n’est pas la bonne approche. Par ailleurs, l’idée que les audiences « traditionnelles » ne peuvent pas s’identifier aux insights d’autres ethnies est à la fois désuète et fausse.

Ainsi, je me retrouve souvent dans des situations où, pour parler du futur, je dois employer des termes que les clients ont plus de chances d’accepter, tout en veillant à accorder du mérite aux groupes qu’ils oublient souvent ou dont ils ont tendance à s’approprier les idées. 

Je dois un peu jongler avec tout ça quand je travaille avec mes clients. Je n’ai aucune difficulté à rester en lien avec la culture et avec cette réalité, qui n’est plus façonnée par les consommateurs traditionnels… mais ce n’est pas toujours facile à digérer pour mes clients.

SQSP : Dans un récent podcast, vous parliez de l’importance de l’origine ethnique dans le secteur de la recherche. Quelles mesures peuvent être prises dans ce secteur pour veiller à ce que la diversité joue un rôle essentiel dans le développement de talents ? 

WD-F : L’industrie de la recherche est majoritairement blanche. C’est un fait établi. Personne n’a rien fait pour y changer quoi que ce soit au cours des décennies où le secteur a évolué. À cause de ça, une grande partie de ce que nous faisons aujourd’hui, la façon dont nous mettons au point nos méthodes de recherche, nos approches, nos outils et nos enquêtes, tout comme la façon dont nous élaborons nos résultats, est souvent biaisée en soi.

Ce parti pris ne se limite pas au chercheur ou aux groupes de chercheurs qui travaillent. Le système est fondamentalement bancal, puisqu’il a été conçu autour d’un monde d’hommes blancs : des hommes blancs en tant que chercheurs, et des hommes blancs en tant que cibles de la publicité et du message. Le secteur n’a pas réussi à suivre le rythme de l’évolution démographique aux États-Unis, ni la transformation du profil des consommateurs et le changement de l’environnement professionnel.

Il va falloir du temps et du travail pour rendre délibérément inclusive une industrie vieille de plusieurs décennies. C’est un processus qui commence avec les marques, les entreprises, les organisations et les chercheurs, qui doivent constamment veiller à éviter les préjugés et s’efforcer d’avoir des conversations (aussi difficiles et gênantes soient-elles) sur leur mode de travail. Tant que ce ne sera pas le cas, aucun progrès n’est possible.

SQSP : Outre la création d’opportunités clés pour la prochaine génération de talents, comment les initiatives en matière de diversité et d’inclusion influencent-elles les insights que ces marques recherchent quand elles développent leurs stratégies marketing ?

WD-F : Si notre système est intrinsèquement biaisé, cela signifie que les histoires que nous racontons sur la vie de nos clients, leurs vérités, leurs espoirs, leurs souhaits et les produits dont ils ont besoin sont elles aussi intrinsèquement biaisées. Résultat : on ignore ou on néglige les expériences des groupes de clients qui ne correspondent pas aux expériences traditionnelles du « courant dominant ».

C’est pourquoi il est essentiel que les équipes de recherche soient composées de professionnels issus de tous les milieux et niveaux socio-économiques. Ainsi, la diversité de nos expériences nous permet d’interpréter les insights de consommateurs de façons qui ne sont pas toujours comprises par d’autres groupes. En agissant ainsi, nous pouvons raconter de meilleures histoires et avoir des échanges plus authentiques avec les consommateurs. Et en adoptant invariablement cette approche, on peut générer un degré d’affinité plus élevé et durable avec la marque, qui se renforce au fil du temps.

SQSP — De nombreux jeunes entrepreneurs recherchent des mentors pour les aider d’un point de vue professionnel. Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui recherche un mentor ?

WD-F : Ah, je cherche aussi un mentor ! Ce qui est super avec l’entrepreneuriat, c’est qu’on rencontre beaucoup de personnes différentes. Souvent, quand on travaille en entreprise, on est tellement occupé qu’on se retrouve cantonné aux mêmes routines et aux mêmes réseaux, et qu’on peut difficilement rencontrer de nouvelles personnes intéressantes en dehors de ces contextes. Mon conseil : parlez de vous et de votre produit, car vous ne savez jamais qui vous allez rencontrer.

Quand je rencontre des personnes qui exercent le même métier que moi, je ne les considère jamais comme des concurrents. Je les vois plutôt comme de nouvelles connexions ou ressources, et j’essaie d’en apprendre le plus possible sur elles pour savoir dans quel contexte les contacter à l’avenir. Si ces personnes sont plus expérimentées que moi, que je les admire et qu’elles font des choses que j’aimerais faire dans un avenir proche, j’essaie généralement de nouer une relation amicale avec elles pour comprendre ce qui les anime et les passionne. Ensuite, si je veux développer ce contact et, si nous avons déjà noué un lien ou une relation quelconque, je lance une idée. 

SQSP — Pourriez-vous nous faire part de techniques que vous employez pour gérer au mieux une relation entre le mentor et son élève ?

WD-F : Je fais tout mon possible pour ne jamais annuler de réunions. Je ne les annule ou les décale que très rarement, c’est vraiment ma bête noire. Le temps est précieux, et quand une personne annule ou décale sans cesse une réunion, ça me donne le sentiment qu’elle n’accorde pas autant de valeur à mon temps qu’au sien.

Pour les mentorés, ça peut être tout aussi déprimant. Ça leur fait comprendre que leurs besoins, leurs questions et leur curiosité n’ont pas autant d’importance que les centaines d’autres choses qui se passent dans votre univers. Nous sommes tous occupés, mais vous devez accorder du temps à votre mentoré, lui montrer qu’il fait partie de vos priorités.

Souvent, les mentors veulent être considérés comme des leaders et des précurseurs, et ils ont tendance à faire des promesses qu’ils ne peuvent pas tenir. L’important, c’est d’être réaliste quant au temps que vous pouvez accorder au mentoré. Sachez qu’il vous admire, il ne faut pas que vous le déceviez encore et encore, ni que vous lui donniez un mauvais exemple qui définira la façon dont il traitera ses mentorés une fois qu’il aura accumulé de l’expérience dans le secteur.

SQSP : Comment se passe la gestion de votre entreprise en pleine pandémie ?

WD-F : C’est intéressant. Ça faisait moins d’un an que j’avais monté mon entreprise quand la pandémie a frappé. J’avais quelques doutes, mais j’étais plutôt détendue dès le départ. Je pense que c’est parce que je savais que j’étais exactement à ma place, et que tout finirait par bien se passer.

Au final, j’avais raison, tout s’est bien passé. Un peu par hasard, j’ai monté une deuxième entreprise, en activité depuis juin. Le truc dans notre secteur, c’est que les clients auront toujours besoin d’insights, surtout en temps instables ou incertains. En ce moment où les questions d’origine ethnique, de diversité et d’inclusion sont en tête de liste des préoccupations, l’agenda des experts indépendants en stratégie, surtout ceux de couleur, est presque toujours plein. 

SQSP : Quelle est LA chose que vous auriez aimé savoir avant de créer A Touch of Whit ?

WD-F : Rien. Je pense que Dieu et l’univers m’ont donné tout ce dont j’avais besoin, et même plus.

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